La semaine de 4 jours : modèle de travail innovant
Afind’optimiser leur attractivité et encourager l’innovation, de nombreuses entreprises optent pour la SEMAINE DE 4 JOURS. Mais il est à double tranchant. D’un côté, elle attire avec ses nombreux bénéfices et permet de fidéliser les salariés. De l’autre, elle pourrait réduire le turn-over, il pourrait être un frein au renouvellement des équipes.
Pour obtenir une compréhension approfondie du fonctionnement et des résultats de cette pratique, nous avons mené une enquête chez le leader français de l’informatique et du high-tech en ligne, le groupe LDLC, qui a mis en place ce dispositif avec ses 1000 salariés depuis trois ans.
Pouvez-vous vous présenter ?
Laurent de La Clergerie, président du directoire du groupe LDLC, que j’ai créé en 1996, groupe qui est spécialisé dans la vente de matériel informatique sur Internet et depuis 10 ans aussi dans un réseau d’une centaine de magasins.
J’ai 53 ans et j’ai toujours fait le même métier. Avant cela j’ai fait une école d’ingénieurs, l’ICPI devenue CPE Lyon, dont j’ai obtenu le diplôme en 1994 et ensuite j’ai fait mon service militaire. Donc, je ne sais rien faire d’autre que gérer LDLC.
Pourquoi avoir adopté la SEMAINE DE 4 JOURS ?
Cela faisait un moment que je travaillais sur la façon d’améliorer la qualité de vie des salariés dans l’entreprise. J’imaginais plein de solutions, j’ai imaginé de former des coachs en interne pour que les managers soient davantage dans l’accompagnement que dans le contrôle. J’ai imaginé d’intégrer les primes des salariés dans leur salaire pour éviter la notion de « crainte » de recevoir ou non une prime, de bien faire son travail ou non. C’était une question de confiance, pour instaurer la confiance entre les équipes, pas simplement entre les managers et les équipes d’ailleurs, mais entre les équipes elles-mêmes.
Puis un jour, j’ai lu un article en novembre 2019, qui abordait le sujet de la SEMAINE DE 4 JOURS , testée par Microsoft au Japon. À la fin de la lecture de cet article, je me suis demandé s’il serait possible de mettre cela en place chez LDLC. Je suis alors rentré dans une réflexion autour de la mise en place de la semaine de quatre jours pour tous les salariés évidemment, car cela ne peut pas être comme pour le télétravail, uniquement pour la présence dans les bureaux. Je me suis interrogé sur les conséquences. En réfléchissant aux conséquences, j’ai procédé de manière très logique.
Tout d’abord, j’ai pensé que si l’on devait travailler quatre jours, cela correspondrait à 8 heures 45 par jour, en se basant sur 35 heures, le temps de travail le plus répandu chez nous. La moyenne d’âge de l’entreprise étant de 37 ans, je me suis dit que 8 heures 45 par jour, ce ne serait pas possible.
Ce n’est pas possible car les employés ont des enfants qu’ils doivent les amener ou aller les chercher à l’école. Donc, s’ils veulent pouvoir gérer cela, ils doivent manger en 10 minutes. Ce n’est pas possible. Par conséquent, j’ai établi un premier principe : si j’applique la semaine de quatre jours, ce sera avec 8 heures par jour, donc 32 heures par semaine.
Une autre question a forcément suivi : si l’on travaille 32 heures par semaine, que deviennent les salaires ? La réponse a été très rapide, toujours dans l’optique que tout le monde accepte la mise en place de cette pratique : les salaires doivent être maintenus, sinon il y aura un problème.
En tant que chef d’entreprise, la dernière question était très logique : le coût de la mise en place. J’ai eu trois types de raisonnement sur ce point. D’abord il y a eu ce qui concerne les magasins ou la relation-client. Pour cela, ce n’est pas un temps de travail qui est mesuré, mais un temps d’ouverture du service. On ne peut pas comprimer le temps, on ne peut pas l’améliorer, donc forcément il manquera des heures, avec 9 % d’heures en moins. Il faut obligatoirement embaucher pour compenser.
Ensuite, il y a eu un deuxième aspect : la logistique, l’envoi des colis. Notre métier consiste en grande partie à envoyer des colis partout. C’est un métier pénible. Je ne m’attendais clairement pas à ce que les équipes de la logistique traitent plus de colis. De la même façon, j’ai conclu qu’il allait falloir que j’embauche pour compenser les heures manquantes.
Puis il restait les autres métiers, tous les métiers de bureau. Le raisonnement a été différent ici. Je me suis dit que le vendredi après-midi par exemple, les employés de ces services travaillent au maximum une heure sur deux. Donc, j’avais déjà trouvé des heures à récupérer. Puis je vois bien, je le fais moi-même, les employés préparent leurs vacances, font leurs courses de Noël, ils font plein de choses au bureau qui ne sont pas forcément liées au travail, parce que l’accès à Internet, tous les équipements disponibles leur donnent la possibilité de faire autre chose.
L’un dans l’autre, il est donc peut-être possible pour eux de récupérer une partie de ces heures parce que finalement, en ayant une journée libre qui leur permet de gérer tout cela, ils ne le feront pas au travail.
Au final, je suis parvenu à un calcul selon lequel je perdrais un tiers du temps dans les bureaux et sur une cote approximative, je devrais perdre 5 % des heures globales et donc 5 % de ma masse salariale. Il ne me restait alors plus qu’une décision à prendre, qui consistait à décider de prendre 5 % de masse salariale en plus en cas de mise en place de la semaine de quatre jours.
Beaucoup de dirigeants se seraient sans doute arrêtés là. Moi je me suis dit que je voulais essayer. Donc, j’ai décidé de dépenser 5 % de masse salariale supplémentaire pour voir ce que cela donne concrètement de passer à la SEMAINE DE 4 JOURS. C’est ainsi que j’ai pris la décision et basculé dans le changement.
J’ai quand même consulté une personne, mon frère qui est directeur financier, pour lui en parler et lui demander s’il était d’accord avec moi. Il m’a fallu une demi-heure pour le convaincre sur le bien-être que cela pouvait apporter, sur mon calcul qui envisageait le pire et qu’il y aurait sans doute des bonnes surprises et que ce serait vraiment positif, qu’on devait se lancer. Comme l’entreprise se portait bien à ce moment-là, il a accepté.
C’est comme cela qu’est arrivée l’idée de la mise en place de la semaine de quatre jours, sans mesurer encore toutes les conséquences que cela allait engendrer.
Quels étaient vos objectifs spécifiques à travers la mise en place de la SEMAINE de 4 JOURS ?
Mes objectifs spécifiques, que j’ai expliqué aux salariés dès l’annonce d’ailleurs, étaient vraiment de leur offrir une journée pour équilibrer leur temps de vie professionnelle et leur temps de vie personnelle. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde hyperconnecté, dans lequel nous n’avons rien le temps de faire, parce que le travail déborde sur la vie personnelle. Mais on oublie aussi de temps en temps que la vie personnelle déborde sur la vie professionnelle, en tout cas la vie avec les amis, les réseaux sociaux et tout ce qu’il y a autour.
Je voulais libérer ce temps pour leur permettre d’avoir leur vie à eux. Une vie qu’ils pourraient certes décaler les week-ends, mais une vie où ils auraient le temps de faire les choses. En ayant que les week-ends, nous n’avons pas le temps de prendre un rendez-vous chez le médecin, pas le temps de faire ses courses, on est toujours débordés. Je voulais recréer cet équilibre dans leur vie et voir ce que cela générerait ensuite par rapport au travail, par rapport à ce que cela pourrait apporter ou non, ce que cela pourrait améliorer dans les conditions de travail.
C’est sur ce point que j’ai eu beaucoup de surprises. Autant je m’étais bien mis en tête que j’allais forcément améliorer quelque chose dans leur vie, autant j’avais pas mesurer les conséquences globales dans leur vie et au travail.
Quelles ont été les conséquences de la mise en place de la SEMAINE DE 4 JOURS ?
Les conséquences de la semaine de 4 jours vont bien au-delà de ce que j’imaginais. Déjà, au moment où je l’ai annoncée, pour moi, je pensais peut-être bêtement que cela allait plaire à tout le monde. En fait cela n’a pas plu à tout le monde. Certains ont eu très clairement peur.
Il y a eu 3 types de peurs immédiates. Il y a eu ceux qui travaillent à plein régime pendant cinq jours et qui pensent qu’ils n’y parviendront pas en quatre jours. Certains sont venus me voir en me disant qu’ils espéraient avoir encore le droit de travailler cinq jours. Mais je leur ai expliqué qu’ils allaient devoir déléguer.
Il y a eu aussi un comportement de managers qui a consisté à penser que s’ils faisaient la semaine de quatre jours, le jour où ils sont absents, les autres ne vont pas travailler. Ce mode de pensée existe encore. (rires) Je leur ai répondu de ne pas s’inquiéter car quand ils sont en vacances, les autres travaillent.
La principale peur concernait le fait que la société ne s’arrête pas de fonctionner pendant une journée. La société fonctionne cinq jours sur sept, six jours sur sept selon les métiers. Certains m’ont dit qu’il y allait y avoir des problèmes avec les plannings, que ce n’était pas possible de travailler quatre jours et d’assurer un service cinq jours sur sept ou six jours sur sept. C’était vraiment la principale peur. Environ 15 % des personnes étaient concernées par ce problème.
Nous avons procédé à la mise en place six mois plus tard, on a travaillé sur ces différents points. Tout le monde a été impliqué dans l’aventure. Nous avions décidé de faire un bilan trois mois après le lancement pour corriger les problèmes. Finalement, nous n’avons jamais rien corrigé. Pour une raison simple : pendant les trois mois, nous avons du rectifier quelques aspects pour être honnête, tout n’a pas fonctionné dès le jour de la mise en place, nous avons découvert des choses auxquelles nous n’avions pas pensé. Mais au bout de trois mois, tout fonctionnait bien.
Et au-delà de cela, même ceux qui en avait peur, même ceux qui avaient des craintes, étaient impressionnés de voir que cela fonctionnait et que c’était positif. C’est-à-dire que lorsque l’on passe du jour au lendemain à quatre jours, on pense forcément que c’est génial. Mais pour certains parfois, ils ne savent pas quoi faire d’un jour en plus dans la semaine. Il y en a qui ont du prendre ce temps en se disant que certes ils avaient une journée libre supplémentaire dans la semaine, mais les autres, leurs conjoints, travaillent ce jour-là. Ils ont du trouver ce qu’ils pouvaient faire de cette journée. Avoir du temps à soi n’est pas toujours simple. Donc certains ont du trouver ce rythme.
D’autres ont du trouver le rythme dans le travail, parce que le jour où ils étaient présents, ce n’était pas le cas de certains autres employés. Ils ont du s’adapter, définir comment travailler. Il y a eu des changements dans l’entreprise, parce que quand on travaille cinq jours sur cinq, en partant le vendredi soir, on peut ne pas ranger son bureau, revenir le lundi matin et continuer.
Lorsqu’il faut transmettre le travail à quelqu’un d’autre, cela oblige à s’organiser. Le jeudi ou un autre jour de la semaine parce que ce n’est pas forcément le jeudi soir, on doit rendre un bureau rangé pour qu’une autre personne puisse prendre la suite et répondre aux clients, aux autres personnes ou prendre la suite du travail en cours. Cela a créé des changements d’organisations, pleins d’aspects dans l’entreprise que nous n’avions pas vu venir.
Cela a engendré tellement de choses d’ailleurs, que nous nous sommes rendus compte que l’on travaillait mieux. Nous nous sommes organisés autour de la semaine de quatre jours et de ce fait nous travaillons mieux. Et les gens se sont rendus compte que finalement, cette journée supplémentaire change vraiment leur vie. Le fait d’avoir trois jours pour la vie personnelle, cela leur donne le temps de tout faire. Et quand le week-end arrive, ils ont un vrai samedi et dimanche en famille.
Je vais d’ailleurs citer une anecdote qui m’a fait sourire. Un jour, j’ai demandé aux employés s’ils voulaient revenir en arrière. 1 % a répondu oui. J’ai cherché à savoir qui avait répondu positivement, car le sondage était anonyme. J’ai trouvé une de ces personnes, qui m’a expliqué qu’il avait un vrai problème avec la semaine de 4 jours. Sa femme étant à la semaine de cinq jours et lui ayant son mardi de libre, elle lui a dit de s’occuper des courses, du ménage et du reste car elle n’avait pas le temps. (rires) Et donc l’employé en question préférait la semaine de quatre jours à cause de cela.
Mais si l’on exclut ce type de réaction, tout le monde a constaté qu’avec ces trois jours pour la vie personnelle, ils avaient vraiment le temps de travailler de façon efficace.
C’est tellement efficace, que globalement, il y a eu plein de changements que je n’avais pas imaginés. J’ai parlé tout à l’heure de l’employé de la logistique qui ne pourrait pas traiter davantage de colis. Je m’étais trompé. En vrai, lorsqu’il a eu temps de se reposer dans la semaine, avec un vrai week-end, qu’il n’a jamais d’habitude puisqu’il rattrape tout ce qu’il n’a pas fait d’autre.
Malgré ce métier qui est pénible et qui est exercé un peu par défaut pour gagner sa vie, en ayant le temps de vivre sa vie personnelle, en arrivant le lundi matin et en commençant une semaine de quatre jours, l’employé marche un peu plus vite. Il a plus le sourire avec ses collègues, donc tout se passe beaucoup mieux, car la logistique en temps normal, ce n’est pas un milieu où on a toujours le sourire. On a plutôt tendance à s’énerver lorsque cela ne va pas, parce que justement on est toujours sous tension. Là il marche un peu plus vite, il a plus le sourire, il fait des gestes un petit peu plus rapides. Mais il ne le fait pas parce qu’il est dans une semaine de quatre jours et qu’il doit rattraper le temps. Il le fait parce qu’il se sent bien.
Cela change tout. Et voilà la surprise : au final, il produit plus de colis en 4 JOURS, avec 32 heures qu’il n’en produisait en 5 jours, avec 35 heures.
C’est l’exemple le plus simple à expliquer, mais cela se reproduit partout. Quand vous avez le temps de gérer votre vie personnelle, vous n’amenez pas les problèmes personnels au travail. Et donc vous êtes concentré au travail. Vous appréciez plus votre travail, vous êtes mieux avec vos collègues, tout se passe beaucoup mieux et le travail se déroule beaucoup mieux.
C’est ce point que j’ai vraiment découvert. Finalement, les employés deviennent beaucoup plus productifs au travail. Ils travaillent beaucoup plus qu’avant, en moins de temps.
Mais il y a un dernier effet derrière cela. Si on continue dans le raisonnement : on a le temps de faire son travail, on le fait bien, on passe une agréable journée avec ses collègues, et en rentrant à la maison, on a la tête reposée. Donc la vie personnelle ne porte pas les conséquences du travail. C’est très vertueux.
C’est ce que j’ai découvert au final. Je m’étais dit que cela allait me coûter de l’argent, cela me coûtait 5 % de mettre en place la semaine de quatre jours, mais c’est tout le contraire qui s’est produit. Cela m’a sans doute rapporté 10 à 15 %.
Si on observe la période, on se rend compte que lors de la mise en place, il y a eu le COVID. Ce n’était pas volontaire, ce n’était pas fait à cause de cela. Mais on a enregistré une croissance, 40 % d’augmentation de chiffre d’affaires. Ces 40 % d’augmentation de chiffre d’affaires n’ont pas été réalisés grâce à la semaine de quatre jours, c’était grâce au COVID. Par contre, il s’est passé une chose incroyable. Avant le COVID, nous étions 1 000 collaborateurs.
Pendant le COVID, nous étions toujours 1 000 collaborateurs. Nous n’avons recruté personne et nous avons géré 40 % de commandes en plus, les 40 % d’augmentation de chiffre d’affaires, sans recruter une seule personne et sans épuiser personne, au contraire. À la fin de l’année, les employés étaient tous plutôt très reposés par rapport aux années précédentes et se portaient très bien.
On ne peut alors que constater que l’on a eu 40 % de productivité supplémentaires, sans parler du résultat derrière vu qu’il n’y a pas eu d’embauche, et sans fatiguer les gens, ils n’étaient pas stressés, ils se sentaient bien. C’est incroyable. Quand on découvre cela, on est obligé de l’expliquer aux autres, parce qu’on se rend vraiment compte de l’importance de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.
Par rapport à un concept que j’entends tous les jours et qui me fait sourire maintenant, celui de la « valeur travail », on me dit que j’ai détruit la valeur travail. On me dit que les gens travaillent moins donc que c’est de pire en pire. Mais non, c’est tout le contraire.
Aujourd’hui les gens sont stressés, ils n’ont plus envie d’aller au travail, ils demandent plein de choses pour essayer d’éviter le travail, pour se trouver dans des conditions de vie où ils évitent le travail. Je leur ai redonné le goût au travail. Pendant leurs quatre jours de travail, ils sont pleinement investis. Ils prennent un vrai plaisir à faire leur travail parce qu’ils ont eu le temps de vivre à côté. C’est cet équilibre qu’on a recréé et qui va tout à fait dans le sens de ce que l’on recherche, c’est-à-dire justement de redonner le goût de la valeur travail aux gens. C’est pour cela que je tente de l’expliquer.
Comment la mise en place de la SEMAINE de 4 JOURS a-t-elle fonctionné ?
Très concrètement, nous avons été surpris car cela a été plutôt simple. Tout d’abord, aujourd’hui, dans la société, la semaine de temps plein est définie sur 32 heures. C’est-à-dire que notre temps plein de travail est de 32 heures. Dès qu’il y a une heure de plus, on passe en heures supplémentaires.
Ensuite, la société fonctionne cinq jours sur sept ou six jours sur sept. Donc globalement, il a fallu refaire tous les plannings, ce qui veut dire que les employés travaillent quatre jours par semaine qui peuvent varier. Si on demande aux salariés le jour de repos qu’ils souhaitent avoir, 60 % vont répondre le vendredi, 20 % le mercredi et les autres vont demander un peu le lundi et peu de mardi et jeudi. Cela ne fonctionne pas. On ne peut pas faire fonctionner la société comme cela.
Donc pour que cela fonctionne, nous avons mis en place des binômes. Les binômes ont le jour de leur choix une semaine sur deux et l’autre semaine un jour de fonctionnement, par exemple le vendredi et le mardi. Une semaine sur deux l’un des membres du binôme a le mardi et l’autre le vendredi, puis ils inversent la semaine suivante. De cette manière, nous avons pu faire fonctionner tous les plannings. Avec tout de même une contrainte : ceux qui prennent le mercredi pour la garde des enfants ont tous leurs mercredis, pour ne pas être obligés de gérer la contrainte un mercredi sur deux.
Certains ont d’ailleurs étaient malins sur ce point, même si ce n’est pas possible dans tous les services, mais certains ont pris le vendredi et le lundi en alternance, ce qui leur fait un week-end de quatre jours toutes les deux semaines.
La dernière chose que nous avons mis en place : toutes les personnes au forfait jour, qui avaient des RTT, n’ont plus de RTT. Aujourd’hui, ils ont techniquement 47 jours de plus, 47 jours de congé par an. Mais ils n’ont plus de RTT. Techniquement, les RTT n’ont pas disparu, mais ils n’ont pas le choix du jour où ils les posent, ils sont posés sur un jour de repos automatiquement.
Et c’est tout. C’est tout ce que l’on a changé pour la mise en place de la semaine de 4 jours. Derrière bien sûr, il a fallu faire des plannings qui correspondent à cela, mais c’est tout.
Quel est le bilan de la SEMAINE de 4 JOURS ?
Donc je vais reprendre la question. Aujourd’hui, nous sommes 3 ans plus tard et nous pouvons nous demander où nous en sommes avec la semaine de quatre jours. La question la plus récurrente d’ailleurs sur ce sujet concerne le fait qu’au bout d’un certain temps les gens sont habitués, les avantages, le bonheur qui y est associé, tout cela disparaît et donc on m’interroge pour savoir si les salariés demandent autre chose en plus.
Mais non, cela ne disparaît pas, car il faut bien comprendre que la semaine de quatre jours entraîne vraiment un changement de vie. Ce n’est pas comme une augmentation de salaire de 10 euros ou un ticket restaurant. Cela change la vie. Aujourd’hui, on a fait un sondage en interne, 40 % des salariés répondent qu’ils ne pourraient plus jamais travailler cinq jours par semaine. 50 % répondent qu’il serait vraiment très difficile pour eux de travailler à nouveau cinq jours par semaine. Ensuite, 9 % considèrent que les deux rythmes, quatre ou cinq jours, peuvent leur convenir mais ils sont satisfaits de la semaine de quatre jours. Et comme je disais auparavant, 1 % affirment que cela ne leur convient pas, mais pas par rejet des quatre jours, mais parce que cela n’est pas adapté à leur rythme de vie et ils préféraient la situation antérieure. Mais d’ailleurs, ce taux de 1 % n’a pas évolué depuis 3 ans.
Si je dois établir un bilan de tout cela 3 ans plus tard, je vais vous décevoir en disant que tout va bien. Mais ce n’est pas tout à fait vrai. Ce qui va bien, c’est que les gens sont toujours aussi efficaces qu’au départ et sont toujours aussi heureux d’être à la semaine de quatre jours. L’absentéisme a été divisé par deux, les accidents de travail ont été divisés par deux. Toutes les données qu’on pourrait relever ont été améliorées. Il n’y a qu’un seul point qui me dérange pour être très sincère, qui est tout le contraire de ce qui embête la majorité des gens aujourd’hui, c’est le turn-over. Il n’y en a plus. (rires)
Le turn-over pour une société, c’est positif et il n’y en a pas assez. Il faut qu’une société ça tourne, ça bouge un petit peu. Les employés sont tellement bien chez nous et comme l’offre n’existe pas ailleurs, ou très peu, ils ne s’en vont plus. Cela ne veut pas dire qu’on ne travaille pas de façon efficace, mais quelque part, la société va vieillir dans le temps, elle ne va pas se « rafraîchir ».
Comme post-COVID, nous avons connu un peu de décroissance et que nous sommes largement assez nombreux pour faire le travail, beaucoup pensent aussi qu’ils ont envie d’évoluer dans l’entreprise, d’aller plus loin, de faire un meilleur métier. Mais le problème, c’est que le manager ne va jamais partir. Et les employés non plus n’ont pas envie de partir. Donc cela créé un peu de frustration pour certains, frustration que l’on va tenter d’atténuer en ouvrant des postes, en ouvrant des projets ou d’autres choses, mais il y a quand même ce sentiment à certains moments que la semaine de quatre jours est un peu un piège, parce que justement il n’y a pas assez de turn-over.
Ce piège sera cependant largement corrigé par la diffusion des quatre jours, mais qui aujourd’hui est un petit piège pour nous.
Quels sont les points positifs et négatifs de la semaine de quatre jours ?
Depuis la mise en place de la SEMAINE de 4 JOURS tout le monde cherche ce qui est positif ou négatif dans la semaine de quatre jours. Beaucoup de personnes nous ont souvent fait remarqué que nous avions fait une progression importante pendant le COVID, nous avons enregistré 40 % de croissance, mais ce qui est observé c’est que depuis nous connaissons une baisse continue. Le chiffre d’affaires a baissé après le COVID, donc la semaine de quatre jours ne fonctionne pas.
En fait, cette conclusion mélange différents aspects. Elle mélange le fait que pendant le COVID, nous avons connu une croissance grâce au COVID. Tout le monde s’est équipé en matériel informatique, il y a eu des ventes démentielles. La semaine de quatre jours nous a apporté une solution incroyable grâce à laquelle nous n’avons pas recruté et malgré tout nous sommes parvenus à gérer les volumes sans épuiser personne.
Mais forcément, après le COVID, tout le monde était super équipé. En sortant du COVID, le chiffre d’affaires est redescendu et est revenu à un niveau presque normal, voire un peu inférieur par moments, car tout le monde avait un taux d’équipement informatique énorme, que ce soit les particuliers ou même les entreprises d’ailleurs. Tout le monde s’est équipé pendant cette période. Donc, clairement, c’est redescendu. Et notre chiffre d’affaires est redescendu aussi.
Je dirais que pour la semaine de quatre jours, nous avons eu de la chance quand même parce que si l’on se rappelle la période juste après le COVID, nous avons entendu toutes les boîtes de high tech se mettre à licencier, parce qu’elles ont embauché pendant cette période et ont du ensuite se retrouver avec trop de monde. Nous, nous n’avons pas embauché. Nous n’avions pas trop de monde. Nous pouvions toujours payer les employés. Ils travaillaient mieux, ils travaillaient plus et nous n’avions pas forcément besoin de toute cette énergie, puisqu’ils étaient plus efficaces, mais la masse salariale n’avait pas augmenté, donc nous pouvions toujours la payer.
Et comme je ne suis pas un patron qui a pour habitude de licencier parce qu’il y a un trop grand nombre d’employés, nous pouvions supporter la masse salariale associée. Cela n’a pas été un problème. Mais effectivement, nous observions une baisse du chiffre et nous attendons aujourd’hui le cycle de renouvellement normal. Il est d’à peu près 3 ans en informatique, la période précédente couvrait 2020-2021, donc fin 2024, ce sera une période dans laquelle on va repartir dans la croissance, la situation va s’améliorer.
Mais simplement parce que le cycle va repartir de façon normale et que nous allons en profiter.
Je voulais insister sur ce point : tout cela n’a rien à voir avec la semaine de quatre jours, il s’agit davantage d’un simple phénomène macroéconomique lié à ce qui s’est produit. La semaine de quatre jours nous a même à la limite éviter de nous retrouver avec trop de monde que l’on aurait du licencier par la suite.
Quelle est l’histoire de l’entreprise LDLC ?
Au début, l’entreprise s’appelait « Easy Soft International », j’étais très ambitieux. (rires) J’étais tout seul mais j’avais déjà intégré le terme « International ». Mais « Easy Soft » était déjà une marque déposée, j’ai du changer de nom dans l’urgence. En cherchant un nouveau nom, ça m’a agacé et j’ai décidé de faire très simple : j’ai pris mes initiales. Donc Laurent de la Clergerie, LDLC.
À l’époque, je ne savais pas ce que cela deviendrait. Je n’imaginais pas que ce serait un groupe avec 1 000 collaborateurs. Même si je l’avais imaginé, je ne l’aurais peut-être pas fait.
Au début, il s’agissait de développement de logiciels et j’ai créé le site LDLC parce que je voulais apprendre à coder un site web. Je ne savais pas quoi faire et comme je vendais un peu de matériel aux entreprises avec lesquelles je travaillais, j’ai créé un site qui vendait du matériel pour apprendre. Puis ce site a généré de vraies ventes. Je me suis rendu compte que j’avais une commande la première semaine, puis deux, puis que cela montait sans arrêt. Je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire.
C’était en 1997. Le site a été lancé en mai 1997. Tout va très vite. Je me retrouve très vite avec 10 commandes par jour. Il n’y a pas de concurrence. Il faut savoir qu’à ce moment-là, on ne paie pas encore par carte bleue sur Internet, on paie par chèque. Cela se développe et je me dis qu’il faut que je bascule dans ce domaine. C’est comme cela qu’est né LDLC, que j’ai abandonné le reste des métiers et que l’on va commencer à vendre uniquement du matériel sur Internet.
En même temps, j’ai oublié de préciser que tout cela s’est passé dans l’appartement de mes parents à l’époque, qui devient trop petit très vite. Il m’a fallu de la place. Donc j’ai cherché à trouver de l’espace, mais personne ne voulait me suivre sur un projet. Les banquiers ne me suivent pas. J’ai eu une idée un jour, je suis allé voir les banquiers. Je ne sais pas si vous vous souvenez mais à l’époque il existait ce que l’on appelait des cyber-cafés, car tout le monde n’avait pas Internet, on pouvait accéder à Internet dans un café.
J’ai vendu aux banquiers un projet de cyber-café, qui est le seul projet qu’ils étaient capables de « valider » pour pouvoir ouvrir ma boutique dans laquelle je vais pouvoir avoir de la place, un entrepôt et des équipements pour grandir. J’ai donc créé ce cyber-café qui a eu une vie de cyber-café pendant trois mois avant de devenir simplement un magasin d’informatique avec de la vente sur Internet.
C’est ainsi que cela a continué à se développer. Il s’agissait du premier magasin situé rue de Marseille à Lyon. Le site croît en même temps.
En 2000, nous nous sommes retrouvés dans un entrepôt de vente.
Alors, j’ai parlé de 1996 à 2000, nous étions alors déjà passé de 0 à 17 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous sommes rentrés en bourse à ce moment-là. Nous avons continué à grandir, jusqu’à atteindre 250 millions de chiffre d’affaires en 2005.
En 2005 nous avons eu un accident logistique, puis nous avons eu des difficultés, nous avons du repartir, nous sommes retombés à 110 millions de chiffre d’affaires. Ensuite nous sommes remontés, jusqu’à 350 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013 à peu près.
Entre-temps, nous avons commencé à développer un réseau de magasins, commencé en 2013, à travers de la franchise essentiellement.
Et, en 2016, nous avons racheté notre premier concurrent, materiel.net, qui génère 150 millions de chiffre d’affaires et qui permet au groupe d’atteindre un volume de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Cette date est aussi très importante par rapport à tout ce dont on va parler, car c’est le moment où j’annonce en bourse que dans 10 ans, nous atteindrons 1 milliard. Et un an plus tard, je me suis présenté à nouveau devant mes collaborateurs en disant que j’ai fait une erreur, j’ai dit en bourse que l’on ferait un milliard, mais aujourd’hui ma véritable priorité c’est leur bien-être. Donc le milliard, nous l’avons oublié et nous nous occupons avant tout de nous.
Cela a été l’origine de tout ce qu’il s’est passé par la suite.
Globalement, pour en arriver à ce qu’est LDLC aujourd’hui : c’est une centaine de points de vente, c’est d’autres activités en parallèle. Il y a « L’Armoire de Bébé », nous vendons un peu de puériculture, un secteur qui pèse environ 10 millions d’euros.
Nous avons des salariés qui ont créé leur propre structure, dont une qui s’appelle Anikop, pour la gestion de titres-restaurants ; une qui s’appelle Slood, une marketplace de produits reconditionnés et autres, de tout type de produits ; DLPconnect, qui est une entreprise d’électricité. Ce sont tous des projets sur lesquels nous avons accompagné des collaborateurs qui souhaitaient se lancer.
Nous avons aussi des projets que nous avons initiés ou des entreprises que nous avons rachetées, comme BiMP et actimac dans le monde d’Apple, materiel.net, topachat. Nous venons d’annoncer le rachat probable de Rue du Commerce, toujours dans ce domaine. Nous cherchons toujours à nous développer.
Mais globalement, maintenant, c’est une centaine de points de vente, ce sont tous ces sites que je viens de citer et c’est une entreprise qui continue à grandir.
Pourquoi êtes-vous désormais plus présent dans la vie publique ?
On me demande souvent pourquoi on me connaît peu, pourquoi on ne me voit pas alors que l’entreprise semble si grosse et que je semble gérer quelque chose d’aussi important, et pourquoi d’un coup j’apparais.
Le facteur qui a été déclenchant, c’est la question de la SEMAINE de 4 JOURS. Parce qu’en 2021, après la première année de mise en place, je suis allé à la rencontre de mes collaborateurs comme tous les ans par petits groupes. Je leur ai demandé ce qu’ils pensaient de la semaine de quatre jours. Ils m’ont clairement tous dit que c’était génial, que c’était incroyable ce que nous avions mis en place. Avec tout de même une question au final, qui était de savoir quelle serait ma prochaine idée.
Je répondais que j’avais plein d’idées, mais qu’il n’y en aurait pas d’autres dans l’immédiat. Car en voyant à quel point la SEMAINE DE 4 JOURS a changé la vie de mes collaborateurs, je me disais que nous n’avions pas le droit de garder cela pour nous.
Aujourd’hui, il faut qu’on en parle aux autres, que je prenne le temps d’en parler aux autres. C’est pour cela que d’un coup je suis sortir de ma carapace. L’homme plutôt introverti que je suis, on ne le voit plus parfois, en réalité il est là, mais il est devenu porte-parole de la semaine de 4 jours.
Pas simplement parce que cela fait du bien aux équipes. Je me suis rendu compte que j’avais tellement changé la vie des gens dans mon entreprise, qu’il est important que demain 10, 20, 30, 40 % des Français profitent de la même vie. Car je suis convaincu d’une chose : si on a atteint ces 10, 20, 30, 40 % de Français qui vivent la même vie que mes salariés, on changera le visage de la France. Cela ira bien plus loin que changer des vies dans l’entreprise, cela peut changer le visage de la France, le dynamisme de la France, l’efficacité de la France. Et aller beaucoup plus loin. Donc je suis obligé d’en parler.
Quelles sont vos autres démarches RSE ?
Au-delà de la semaine de quatre jours, nous avons d’autres démarches RSE. Je tiens seulement à préciser qu’on les applique pas simplement pour appliquer les démarches RSE, mais parce que cela fait partie de ce nous sommes. Nous ne nous posons pas la question de correspondre à des cases, même si aujourd’hui nous sommes en bourse et que nous devons remplir des cases.
L’une des premières démarches RSE a été l’ouverture de l’école LDLC, il y a quelques années maintenant, il y a 7 ans. Ce n’est pas une école interne, nous ne formons pas des salariés, nous formons des étudiants. Nous nous disions que nous avons une certaine façon de manager, nous connaissons un peu les métiers de chacun, sans être expert, mais en sachant parler à tout le monde et nous voulions former les managers de la même façon. C’est-à-dire qu’ils fassent du marketing, qu’ils fassent de la comptabilité, du commercial, qu’ils sachent parler à tous les métiers sans être experts dans un secteur ou l’autre. On a créé une école il y a 7 ans, sur ce principe. Il y a donc l’aspect éducation, éducatif, etc.
Parmi les autres démarches mises en place, il y a une qui est arrivée presque par hasard. Comme beaucoup de personnes, je me posais plein de questions sur l’avenir de la planète, où nous allons, comment. Un jour j’ai publié un article sur LinkedIn dans lequel justement, je posais simplement les questions en me demandant où nous allons et comment.
Suite à cela, j’ai été contacté par ceux qui se font appeler « Les Gluons », de « Team for the Planet ». Ils m’ont signalé leur existence, à l’époque sous le nom « Time for the Planet », aujourd’hui « Team for the Planet ». Ils se sont saisi du sujet, il s’agit d’un groupe de jeunes passionnés qui se sont dits qu’il y a peut-être des solutions pour regrouper tout le monde, essayer de trouver les bonnes entreprises et les aider à se développer.
J’ai étudié leur projet et un peu comme pour la semaine de quatre jours où j’ai décidé en trois jours, pour « Team for the Planet », au bout de trois jours, je me suis dit qu’il fallait que j’investisse, que leur projet est génial, qu’ils sont géniaux. Je me suis donc engagé à titre personnel, j’ai investi ce que j’avais sur mon compte en banque, sans que ce soit des millions, mais j’ai investi. Et justement, je me suis dit que leur mouvement a été créé sous la forme d’un mouvement citoyen, mais si des entreprises ne viennent pas collaborer au projet, cela ne fonctionnera jamais.
Donc j’ai pensé qu’il fallait que LDLC investisse dedans. Et là je les ai rencontrés, je ne me suis pas contenté de lire le contenu des pages web. J’ai rencontré Mehdi, j’ai rencontré Arthur et tout le reste de l’équipe. Ils m’ont expliqué le projet et j’ai accepté de les suivre, en prenant 10 % des actions de l’entreprise. À l’époque, cela correspondait à 200 000 euros d’investissement, ils arrivaient à 2 millions. J’ai décidé de les suivre pour expliquer aux entreprises qu’il faut participer à ce projet.
C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés impliqués dans le projet. Un an plus tard, ils avaient levé 9 millions et nous leur avons dit qu’on allait les accompagner parce que les entreprises n’avaient toujours pas compris et qu’on allait investir un million pour montrer aux gens que nous nous y croyons et qu’il faut suivre. Nous les avons suivis et cela s’est intégré dans la démarche RSE. Pas parce que l’on doit le faire, mais parce que quelque part il faut que les choses bougent.
Le RSE au travail, sur les conditions de vie des salariés, nous avons fait plein de choses.
Par contre, je tiens à souligner un point, car on m’a dit parfois que je faisais tellement pour mes salariés et que je devais me rappeler que je ne gère pas une ONG. J’aimerais corriger cette phrase en disant que si vous observez LDLC et les chiffres réalisés par le groupe, vous verrez que nous sommes l’une des entreprises les plus rentables de notre secteur. Nous avons beau avoir mis plein de choses en place, c’est efficace au final. Ce que l’on donne, on le récupère. La démarche RSE qui va dans ce sens, je pourrais presque dire qu’elle rend autant et qu’il n’y a pas de raison de ne pas le faire.
Il y a plein d’autres sujets dans les RSE. Nous avons une fondation aujourd’hui qui s’intéresse à l’éducation et à l’écologie. Mais c’est pareil, j’étais contre le fait d’avoir une fondation dans le groupe. Parce que je trouve que c’est une approche marketing. Je n’aime pas le côté marketing.
Sauf qu’un jour, ce sont les collaborateurs qui sont venus me voir en demandant pourquoi nous n’avions pas de fondation. Je leur ai expliqué, mais ils m’ont dit qu’eux ils souhaitaient accompagner des projets, des idées. Donc j’ai accepté d’en créer une, parce que cela venait d’eux et nous sommes donc partis sur ce projet.
Si nous allons un peu plus loin dans les projets RSE, et par rapport à tout ce que j’ai mentionné auparavant, nous pourrions nous demander pourquoi LDLC ne cherche pas à être une « B Corp » ou une entreprise à mission. Cela vient de moi, parce que je n’aime pas être dans un cadre. Je ne supporte pas les choses « carrées ». (rires) Si demain nous devions être une entreprise à mission, une entreprise « B Corp », ce qui ne serait sans doute pas trop compliqué en vrai, on rentrerait dans un cadre. J’ai besoin de liberté.
La semaine de quatre jours a-t-elle changé la culture de l’entreprise ?
On me demande souvent si la semaine de quatre jours a changé quelque chose dans la culture de l’entreprise. Oui d’une certaine façon, sans doute parce que nous sommes parmi les premiers, cela a changé quelque chose.
Déjà, cela a créé une fierté, qui est sans doute aussi à l’origine de notre sur-performance grâce à la semaine de quatre jours. Aujourd’hui, certains m’ont dit que pendant les repas de famille, tout le monde les regarde en leur disant qu’ils ont de la chance. Ça a donné à chaque salarié ce sentiment de profiter de quelque chose que les autres n’ont pas. Et donc le sentiment d’être considéré, de se sentir respecté par l’entreprise.
Cela créé cette culture d’entreprise qui ensuite rayonne entre les équipes, parce que comme on le dit souvent, dans une entreprise, si le patron ne montre pas l’exemple, cela ne suit pas, mais quand il montre l’exemple, cela suit derrière et donc cela créé cette culture d’entreprise.
Quels autres changements avez-vous apporté ?
Je disais auparavant que je ne ferais rien d’autre après la SEMAINE de 4 JOURS, mais finalement, est-ce que j’ai fait d’autres choses ?
Oui, je n’ai pas pu m’en empêcher. Nous avons mis d’autres choses en place depuis la semaine de quatre jours.
Avant la semaine de quatre jours, le salaire minimum dans le groupe était de 15 % au-dessus du SMIC. La semaine de quatre jours a été tellement efficace que ce salaire minimum a été passé à 25 % au-dessus du SMIC. En taux horaire, cela correspond même à 36 %, puisque l’on parle bien du SMIC à 35 heures.
Ensuite, il restait un décalage dans l’entreprise entre ceux qui sont en télétravail et ceux qui ne le sont pas. Pour moi, ce décalage n’était pas normal. On parle souvent de l’indemnité télétravail pour compenser la connexion Internet et autres, mais moi j’ai pris le problème à l’envers. J’ai décidé d’appliquer une indemnité télétravail pour ceux qui ne peuvent pas télétravailler. Il y a deux ans, nous avons donc ajouté le fait que tout salarié dont le poste ne peut pas être assuré en télétravail reçoit une indemnité de 50 euros par mois pour compenser le fait qu’il ne puisse pas télétravailler.
Et la toute dernière mesure est celle qui a récemment fait du bruit : le congé parental. Le congé parental père et mère, de 20 semaines. Pour être transparent, cette mesure a été inspirée par un ami qui habite au Canada et qui m’a raconté que là-bas ils ont 50 semaines qu’ils partagent entre le père et la mère, avec trois mois obligatoires pour chacun il me semble, mais ensuite qu’ils partagent le temps. J’ai trouvé cela génial.
Je suis arrivé à 20 semaines car l’idée c’était d’égaliser. Je me suis rendu compte, car même si j’ai des enfants je ne m’y étais jamais intéressé avant, qu’au premier enfant, nous avons 10 semaines de congé post-natal pour la mère et 20 semaines à partir du troisième enfant. Je me suis dit que ce n’était pas logique car le pire à gérer, l’enfant pour lequel nous avons le plus d’appréhensions, c’est le premier, alors pourquoi ne pas avoir 20 semaines dès le premier. Donc j’ai égalisé, en me disant que j’allais définir 20 semaines pour tous les enfants.
Et comme je m’étais dit que le but c’était que le père ait la même coupure, pour avoir une mesure égalitaire homme-femme, femme-homme, les deux à la fois, j’ai mis 20 semaines pour les deux.
Donc je n’ai pas pu m’empêcher de continuer à avoir d’autres idées. J’en ai déjà une pour l’année prochaine, mais je ne peux pas en parler parce que ce n’est pas encore public.
Pourquoi n’avez-vous pas encore mis en place de CONGÉ MENSTRUEL ?
On peut se demander pourquoi nous n’avons pas mis en place de congé menstruel, le congé pour les règles difficiles, etc. C’est une question de secret médical.
Je me suis renseigné, comme je prends toujours le temps avant de mettre un projet en place. Et donc parmi les premiers pays qui ont mis cela en place, il y a le Japon et la Corée. Quand cela a été mis en place, cela a été adopté très vite par les femmes concernées, qui en ont profité, mais si vous observez les statistiques récentes, il n’y a quasiment plus aucune femme qui le prend. Parce qu’elles sont visibles.
Il y a toujours cette notion de secret médical derrière et qu’un problème soit visible. Pour moi, pour que cela fonctionne, il faudrait pouvoir prendre le congé sans que l’on connaisse le motif. J’avais pensé à une solution, le congé illimité, qui permettrait de prendre un jour dont on a besoin sans que l’on sache pourquoi et cela ouvre la possibilité du congé menstruel.
Sauf que lorsque j’en ai parlé en interne, on m’a expliqué que gérer un congé illimité pour 1 000 personnes dans le cadre de la loi française, c’est impossible car il faut de toute façon faire comme si le congé n’était pas illimité, il faut tout suivre, tout noter et ce sera un enfer à gérer.
Donc je n’ai pas la solution aujourd’hui qui me permet de garantir la mise en place sans que ce soit visible, parce que beaucoup de personnes ne voudront pas en parler, beaucoup ne le prendront pas et donc ce n’est pas égal quelque part. Mais si un jour il y a une solution, nous le mettrons bien sûr en place.
Comment résumeriez-vous les aspects positifs de la SEMAINE de 4 JOURS ?
Si je devais résumer le côté positif de la semaine de quatre jours, c’est vraiment d’avoir changé la vie des gens. Parfois je plaisante en disant que quand on travaille dans une entreprise avec la semaine de cinq jours, tout le monde attend les vacances pour faire une pause. Et quand ils reviennent de vacances une semaine après, ils attendent les vacances pour faire une pause.
Quand on est dans une entreprise avec la semaine de 4 jours, on attend le week-end. Parce qu’on a eu une journée dans la semaine où on a eu le temps de faire un certain nombre de choses et on attend le week-end parce que c’est un vrai week-end, ce n’est pas un week-end sur lequel on repousse tout ce que l’on n’a pas le temps de faire dans la semaine. Du coup on repart chaque semaine en pleine forme, avec des micro vacances à chaque fois. Et les vacances sont du bonus.
C’est cela qui a changé dans la vie des gens avec la semaine de quatre jours. C’est le fait d’être chaque semaine en forme. C’est cela que j’ai découvert. Et c’est pour moi finalement la plus grosse réussite du projet. C’est d’avoir changé la vie des gens.
Je plaisante parfois sur les termes « RH », comme « QVT » (qualité de vie au travail) ou « QVCT » (qualité de vie et conditions de travail), en parlant de « QVTC », c’est-à-dire qualité de vie, tout court. Parce que c’est cela l’effet de la semaine de quatre jours. J’ai changé la qualité de vie des gens. J’ai pas changé la qualité de vie au travail. C’est pas le travail finalement qui était concerné par cette mesure, c’est la vie du salarié.
C’est cela pour moi la plus grande réussite dont je me suis rendu compte avec la semaine de quatre jours. C’est un game changer. C’est un gain pour le travail, c’est un gain pour la personne, c’est un gain pour tout le monde.
Je ne vois même pas d’ailleurs où est le bug là-dedans. Je ne sais pas si cela s’applique partout, simplement dans les entreprises, dans les organisations. Mais en tout cas, quand ça s’applique, je ne vois aucune raison de ne pas le mettre en place.
Laurent de la Clergerie, d’où venez-vous ?
Je suis né à Périgueux, en 1970, mais je n’y ai passé que six mois, les six premiers mois de ma vie. Après, mon père travaillant chez Renault VI, chez Renault, puis Renault Véhicules Industriels, j’ai donc beaucoup déménagé entre la banlieue lyonnaise et banlieue parisienne, en suivant collèges, lycées etc.
Mais j’avais une idée depuis le collège, parce qu’en cinquième ma professeure de Français nous a demandé une rédaction sur le thème du métier que nous voulions faire plus tard, et j’avais écrit que plus tard je serai chef d’entreprise. Elle m’avait mis la note de 12 je crois et elle m’avait souhaité bon courage en disant que la route serait longue.
Ce qui est amusant, c’est que j’ai toujours su que je voulais être chef d’entreprise. Mais j’ai retrouvé cette rédaction, ma soeur l’avait gardée, et donc j’ai eu l’occasion de la relire et la première phrase était la suivante : « Depuis que je suis en maternelle, je sais que je créerai mon entreprise un jour. »
Donc je me suis rendu compte que j’ai toujours voulu créer mon entreprise. C’est ce que j’ai fait et finalement je n’ai jamais travaillé ailleurs. J’ai continué mes études, j’ai eu un bac C, ensuite j’ai fait une école d’ingénieurs, puis mon service militaire. Et pendant mon service militaire, en même temps j’ai suivi une Licence de Sciences économiques à Lyon II. Puis j’ai créé l’entreprise, directement. Et la suite de l’histoire, je vais vous la raconter. Voilà, c’est un parcours finalement assez direct.
Quels sont vos projets ?
Déjà, le projet que j’explique aux équipes en interne : quand on me dit « Sky is the limit », je dis « Mars is the limit », puisqu’Elon Musk doit aller sur Mars. En ce qui concerne l’ambition, je leur dis toujours : « Un jour on rachètera Amazon ». Alors je ne pense pas qu’un jour on rachètera Amazon, mais l’idée derrière est toujours de dire qu’on doit aller le plus loin possible et la limite est tellement loin que ce n’est pas le sujet du moment.
Au-delà de cela, avant la semaine de quatre jours, j’avais d’autres projets dont on a pu entendre parler. J’avais le projet de lancer une ferme, qui fonctionnerait aux quatre jours. (rires) De me lancer dans des restaurants végétariens, pas parce que je suis moi-même végétarien, pas du tout, je ne le suis pas, mais pour essayer de retrouver un équilibre dans l’alimentation et de manger moins souvent de la viande. Donc je pensais aller sur ces sujets-là.
On me demande aujourd’hui quand je lancerai ces projets, mais je répond que je ne peux pas parce que la semaine de quatre jours m’a pris tout mon temps.
J’ai plein d’autres idées, parce que je pense à un ou deux projets par jour, que je sais que je ne pourrai jamais lancer. C’est d’ailleurs ce qui m’avait donné l’idée de l’école LDLC, car je m’étais dit que j’allais former des étudiants qui lanceront mes projets. Mais finalement ils ont leurs propres idées eux aussi, donc ils n’ont pas besoin de moi. (rires)
J’ai plein de projets, mais je vais essayer de tenir ceux que j’ai actuellement, c’est-à-dire continuer à faire grandir l’entreprise, à trouver des évolutions sociales possibles et puis expliquer pourquoi cette semaine de quatre jours est un vrai game changer et pourquoi il faut avancer dans ce sens-là.
Puis après, si je trouve d’autres idées et surtout du temps, je me lancerai dans d’autres projets.
Comment résumeriez-vous LDLC et votre histoire avec cette entreprise ?
Si je devais résumer LDLC et l’histoire que je vis à travers tout ça, je parlerais de l’audace de n’avoir peur de rien et d’avancer. D’avancer en s’amusant.
Avez-vous des anecdotes à nous faire partager ?
L’une de mes anecdotes, c’est que lorsque nous sommes arrivés ici, j’étais fan de la série Friends. Notamment parce qu’il y avait une chose que je m’étais juré de faire quand j’étais jeune : j’adorais le moment où ils se retrouvaient au bar tous ensemble pour se raconter leur journée de travail et tout partager.
Quand on est arrivés dans le nouveau siège, j’ai fait un beau discours devant les salariés et à la fin, dans ma lancée, je leur ai dit : « Tous les jeudis soirs, on fera un after work. » Au moment où j’ai dit ça, j’ai pensé que ce n’était pas possible. Mais au final nous l’avons fait. Cela a duré jusqu’au COVID, le COVID a changé le rythme.
Maintenant, avec le télétravail et autre, les gens sont moins présents et cela fonctionne moins. Mais en tout cas, on l’a fait pendant cinq ans, on a fait notre after work tous les jeudis soirs. Et c’était exactement ce que je voulais, c’est-à-dire ce côté retrouvailles en-dehors du travail, où on est là parce qu’on en a envie, tout le monde n’est pas obligé d’être là. On se raconte notre vie, on passe un bon moment ensemble, entre salariés et à égalité entre services, etc.