#Politique #France : Remaniement ministériel ministre de la Culture & de la Communication
Intégralité du discours de Fleur Pellerin lors de sa passation de pourvoir.
Mes chers amis,
C’est évidemment avec beaucoup d’émotion et le cœur serré que je quitte ce ministère.
Un ministère où l’on sent battre chaque jour les vibrations de l’histoire en même temps que le pouls de la création… Le ministère des artistes.
Parce que la culture est toujours une résistance, contre l’ordre établi, contre les routines et les assignations, contre la reproduction du même et contre la laideur, j’ai voulu en faire un ministère de combat. Et c’est un ministère de combat que je quitte aujourd’hui.
C’est aussi un ministère cher au cœur des Français, car il loge en son sein quelque chose d’intime, à la fois pour chacun et pour tous. Car il a ce pouvoir de subsumer les identités individuelles dans l’Identité de notre pays. Identité avec un grand « I » et pas Nationalisme avec un grand « N ». Une identité qui se nomme aussi « exigence » : la belle exigence de notre culture immortelle, la belle intransigeance de nos valeurs.
C’est aussi le gouvernement que je quitte, et c’est pour moi l’occasion de vous dire que je n’ai eu, depuis vingt ans, qu’un seul et unique engagement : l’intérêt général. D’abord dans la fonction publique, à la Cour des comptes, dans la vie associative lorsque je présidais le Club XXIe Siècle, puis au gouvernement. Je voudrais dire aussi que j’ai passionnément aimé servir tous les candidats du parti socialiste depuis 1997, et que les trois campagnes présidentielles auxquelles j’ai participé, auprès de Lionel Jospin, Ségolène Royal et François Hollande, ont été de merveilleuses expériences personnelles et collectives. J’y ai noué des amitiés indéfectibles qui résisteront à tous les mauvais temps.
Aujourd’hui, je considère qu’il n’est pas de plus belle manière de servir l’intérêt général que d’être ministre de la République.
Il n’y a pas de plus belle manière d’exercer ses fonctions que de le faire dans les gouvernements de deux premiers ministres, Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, pour qui j’éprouve un immense respect et une estime tout aussi immense. Je veux leur dire ma reconnaissance et ma fidélité.
Ma fierté, en près de quatre ans passés au service des Français, c’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas voulu de ministères de la parole. J’ai voulu transformer le réel et être digne du mandat politique que nous avaient confié les Français.
Au numérique, d’abord. A travers les Assises de l’entrepreneuriat et surtout la FrenchTech, j’ai voulu donner une reconnaissance méritée à l’inventivité et à l’envie d’agir de notre jeunesse, et rendre visible cette énergie bien française à travers le monde. La plus belle consécration, c’est de voir aujourd’hui la créature s’émanciper de ses concepteurs et s’épanouir loin des arcanes de l’Etat.
A travers le développement du financement participatif, le crowdfunding, j’ai apporté un cadre d’action concrète pour tous nos concitoyens, pour casser les cloisons et donner à chacun les moyens de prendre part à l’économie réelle.
Au commerce extérieur, j’ai eu à cœur de promouvoir l’attractivité et la séduction de la France à travers le monde, de combattre les clichés et les lieux communs et de mettre en valeur nos entreprises et nos savoir-faire.
Et puis bien sûr ici au ministère de la Culture, où j’ai travaillé à faire entrer nos politiques publiques dans le XXIème siècle, où nos concitoyens sont encore trop nombreux à se sentir intimidés devant la culture.
C’est à eux, à ceux qui en sont les plus éloignés, ceux qui n’ont pas reçu la passion de la culture en héritage, que j’ai voulu ouvrir des portes et consacrer mon action. C’est pour ces enfants d’une ZEP du nord de Paris, que j’avais invités au ministère à écouter une symphonie de Mozart et qui ouvraient des yeux immenses en regardant l’orchestre, que je me suis levée chaque matin. Pour qu’ils aient un jour la gorge nouée en attendant la 8ème mesure du Lacrimosa où Mozart, mourant, a interrompu l’écriture du Requiem. Pour qu’ils soient un jour touchés par la grâce de la Comtesse d’Haussonville et se passionnent pour Ingres. Pour qu’ils découvrent la violence du siècle de leurs grands parents en lisant « Être sans destin » ou bien « Maus ». Pour qu’ils se découvrent rebelles en récitant Antigone, d’Anouilh, et se demandent avec elle : « Quel sera-t-il, mon bonheur ? ».
En somme, pour qu’ils découvrent que la culture est pour eux comme un organe essentiel qui les aide à respirer et à se tenir debout, sans qu’ils en aient toujours la conscience.
Dans tous les portefeuilles dont j’ai eu la charge, j’ai toujours eu l’obsession d’écouter ceux qui créent, ceux qui entreprennent, ceux qui innovent, parfois contre les grands courants du monde. Parce que je crois fondamentalement au mouvement, à la jeunesse, à la diversité, à la remise en cause des rentes et de l’ordre établi. C’est-à-dire, finalement, au progrès.
Etre de gauche c’est, pour moi, une forme de révolte et de radicalité qui ne connaît aucun répit. La passion de l’égalité, c’est, au-delà de tout, ce que j’ai voulu partager dans mon action.
Chemin faisant, j’ai toujours été habitée par un esprit positif et conquérant, face à tous ceux qui abîment la France en ne parlant d’elle qu’avec les mots du déclin.
Tout ce qui peut faire la fierté de notre pays, tout ce qui peut lui rendre confiance, tous ces talents immenses méritent d’être portés et entendus.
Tout ce qui peut inspirer notre jeunesse et lui donner des ailes mérite d’être porté et entendu.
Ma France est une France des fiertés, une France qui rêve, une France qui prend son envol et porte l’exigence comme étendard. Une France qui se renouvelle et se réinvente sans cesse.
Je suis fière d’avoir redonné au ministère de la Culture les attributs d’un ministère de premier rang dans la République ; fière d’avoir redressé le budget du ministère ; fière d’avoir porté à l’Assemblée et, hier matin encore, au Sénat, une grande loi sur la création, l’architecture et le patrimoine.
Les combats que j’ai menés, grâce au talent de mon cabinet et de mes services, et qu’Audrey Azoulay aura à cœur de poursuivre, j’en suis sûre, ont été nombreux.
La réforme des aides à la presse, celle de l’indépendance et du pluralisme des medias, ou encore du secret des sources.
La modernisation du droit d’auteur : nous sommes en passe de convaincre la Commission européenne et c’est une de mes grandes fiertés.
Le crédit d’impôt audiovisuel et cinéma, qui va fortement soutenir la production en France.
La stratégie nationale pour l’architecture, parce que l’architecte n’est pas qu’un maillon de la chaîne du bâti : il porte une ambition qui transcende le quotidien et donne un sens à notre cadre de vie et à l’environnement.
La promotion, toujours, de l’art contemporain et de la jeune création, avec les Assises et l’opération « Un immeuble, une œuvre ».
Le combat pour les artistes : la liberté de création, protégée dans la loi ; la sanctuarisation de l’intermittence, le soutien aux artistes interprètes pour qu’ils soient mieux rémunérés à l’heure ou la musique s’écoute en streaming ; et le combat pour plus de diversité, dans les visages et les pratiques artistiques de notre pays.
Mais mon principal combat a été d’essayer de redonner à ce ministère sa vocation première, celle de « rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité », pour reprendre la belle formule d’André Malraux, restée à l’article 1er du décret d’attribution du ministre de la culture depuis lors : avec la fête de la lecture jeunesse « Lire en short », le réengagement de l’Etat dans la conservatoires, le développement des actions « hors les murs » des grandes institutions culturelles, et bien sûr le projet de Villa Médicis à Clichy-Montfermeil.
Je l’ai dit après les attentats de janvier et de novembre de l’an dernier, qui m’ont profondément marquée : je suis convaincue que la culture est une arme d’émancipation massive dans la lutte contre l’obscurantisme et la barbarie.
J’avais récemment proposé au Premier ministre et au Président de la République un « pacte de culture » à côté du « pacte de sécurité ». J’espère qu’il pourra être mis en œuvre dans les prochains mois.
Avant de conclure, je voudrais vous dire quelque chose de plus personnel.
Il y a peu de pays au monde dans lesquels une enfant trouvée dans un bidonville d’une nation sous-développée, adoptée dans une famille modeste avec une généalogie faite de domestiques et d’ouvriers, pourrait un jour devenir ministre de la culture.
J’en remercie la France. Et j’ai une gratitude immense, indicible, pour le Premier ministre, Manuel Valls, d’avoir proposé mon nom au président de la République en août 2014. Je voudrais le remercier et lui redire ma reconnaissance et ma fidélité.
Je vous remercie du fond du cœur, vous tous, agents de ce ministère, huissiers, officiers de sécurité, chauffeurs, bureau du cabinet, directions, organisation syndicales et bien sûr les membres de mon cabinet, avec qui j’ai partagé un très beau moment de vie.
Je vous sais tous passionnément dévoués à la belle cause de la culture.
Audrey, tu as commencé ta carrière à la direction des medias, tu es donc ici chez toi. Je te souhaite un plein succès au ministère de la culture.